seniors en questionnement

DES SENIORS ACTIFS, quelles conséquences sur notre rapport au travail ?

 

Valérie BINDER, novembre 2013

Inspiration : participation au programme Innov’âge en IAA-2013 MSERA - ARAVIS

 

Réjouissons-nous, notre espérance de vie joue les prolongations. En France depuis 1981, elle augmente de 8 ans pour les hommes et de 6.5 ans pour les femmes (données INSEE 2011). Cette bonne nouvelle, contraint les régimes de retraite par répartition. Ils sont progressivement déséquilibrés, la cohésion intergénérationnelle nécessaire à leur fonctionnement, est menacée. Aussi, le maintien des seniors dans l’emploi devient un enjeu économique, social et pose de nouvelles questions autour du travail mais aussi d’une autre inscription de ces seniors dans la société.

Nous sommes d’accord ; les « anciens », les « seniors », les « confirmés » représentent une richesse humaine, sociale et technique pour l’entreprise ou/et le monde associatif. Ils sont dépositaires d’un savoir-faire, d’une expertise, d’une diversité d’expériences utiles à valoriser. Mais voilà, nous sommes en France dont l’unité nationale s’est bâtie sur le patriotisme, l’élitisme, l’égalité, …valeurs nobles si elles ne s’étaient perverties au contact de la crise économique, du raisonnement par ratio, et de la financiarisation  envahissant  tous les secteurs de notre vie ; résultat : un individualisme et un culte de la performance écartant les seniors de la réussite…

Cependant, il nous faut admettre que l’âge apporte son acquis d’expérience, de maîtrise, de savoir-faire,… Par conséquent, les regards sont plus affutés sur les situations rencontrées, les réflexions plus argumentées sur des positions affirmées, et souvent les envies sont d’un autre ordre, plus centrées sur son développement que son estimation économique. Ce qui produit, selon les personnes, des grands écarts entre lassitude et désengagement à un pied et discernement, profondeur de vue, créativité et choix réfléchi sur l’autre pied. Position instable me direz-vous donc peu tenable dans le temps… Ne serait-ce pas une question de transition à double empreinte : professionnelle et de vie ?

Accompagnant des personnes à construire leurs transitions professionnelles, je vous propose de regarder cette problématique de l’allongement de la vie professionnelle sous cet angle : comment mieux accompagner des seniors dans les organisations productives au sens large, en observant comment ces transitions sont négociées, acceptées, accompagnées…

Pourquoi emprunter le terme de transition et non celui de changement ? Pour moi, conduire un changement se rapproche d’une situation précise, inter-réagissant à un contexte, provoquant souvent une insatisfaction qui perturbe un équilibre et crée de l’insécurité. Cette logique situationnelle permet d’identifier en creux les conditions qui contribueraient à produire une situation plus sereine. En revanche, une transition relève plus d’un processus s’installant en soi, résonnant sur des valeurs personnelles voire intimes qui restent souvent enfouies sans expression précise. La transition révèle souvent un passage du développement d’une personne évoluant dans sa posture. J’entends le terme posture comme une recherche de cohérence, une forme de congruence entre ses idéaux et ses actions.  La posture concerne tout l’être et donc le résultat ou la destination d’arrivée en devient plus confuse.

La cinquantaine installe dans une période de bilan de la vie.  Riche de ses acquis, mais soucieux des manques qu’il reste à combler, le senior s’interroge sur le sens de sa vie dans tous les aspects, encore que, sa recherche d’authenticité l’anime…La dernière période de sa carrière professionnelle est un événement marqueur initiant cette conscience d’une vie à mi-parcours. Peur, questionnement, dénis, parfois déprime …mais aussi libération, enthousiasme, insouciance, ces différents états, parfois contraires mais cohabitant sous un même crâne renseignent sur l’importance de cette phase dont l’organisation ou l’entreprise en est le premier témoin. Tous sont concernés par cette transition en marche, les cols gris et les cols blancs, les femmes et les hommes.  Seuls les indicateurs d’observation sont peut-être différents : perte de cadence, douleurs physiques articulaires, plus résistants à l’immédiateté, plus rétifs aux modèles ou plus interrogatifs, etc…Tout l’être subit ou accepte ces transformations physiologiques, sociales, existentielles, personnelles…L’allongement de la durée de vie au travail étant aujourd’hui un élément incontournable à considérer pour réfléchir un itinéraire professionnel, cette phase de transition que l’on pourrait qualifiée de maturité, est-elle impactée par un départ à la retraite beaucoup plus tardif que nos aînés ?

Pour ma part, je trouve qu’elle est au cœur de la problématique des seniors dans les organisations. Ne considérer cette transition que sous l’angle de l’adaptation aux postes de travail  ou de retraites anticipées (même si elles n’existent plus, les entreprises importantes ont les moyens pour contourner la question en précédant encore à des retraites anticipés « maison) m’apparait dangereux et contre-productif pour la société dans son ensemble… Prenons trois exemples, dont les héros ordinaires ont été de belles rencontres. Chantal, en poste sur une ligne de conditionnement dont le dos et les canaux carpiens se souviennent à elle chaque nuit, subissant les foudres d’un cadre intermédiaire aboyeur et solitaire, que me dit-elle ? Chantal, 48 ans, rêve d’un travail auprès des enfants, pourquoi pas éducatrice de jeunes enfants ? Mais chut pas un mot dans l’enceinte de l’entreprise au risque de se faire licenciée, Chantal en est persuadée. Yvon, 55 ans, en poste depuis une vingtaine d’année après 10 années en 3*8 ne supporte plus la cadence. Pourtant avant, il appréciait le » travail de rythme », comme il dit. Aujourd’hui, l’usure de ses os, la lassitude, le manque de perspectives ont raison de lui et les arrêts de maladie se multiplient. Il ne rêve que d’une chose, lui aussi, rejoindre sa femme pour augmenter leur capacité comme famille d’accueil. Enfin, Yannick 50 ans tout juste, a profité d’un accident du travail pour étirer sa douleur jusqu’à une inaptitude au poste pour fuir un désengagement d’un travail considéré pénible sans moyen, sans échange, sans intérêt. Que nous disent Chantal, Yvon et Yannick ? Ils sont prêts à se réinvestir, ils ont des envies, des projets, ils demandent juste un peu d’attention, d’écoute pour poursuivre leur itinéraire professionnel.

L’allongement de la vie professionnelle ou AVP rencontre la question du dialogue social dans l’entreprise ou dans la société plus globalement. Le travailler ou le vivre ensemble s’appuie sur des mêmes fondamentaux : considérer l’autre dans ce qu’il est pour construire des complémentarités conscientes donc vertueuses et riches dans la relation intergénérationnelle, technique voire économique. Un dialogue social établi dans une structure devrait permettre au senior d’être accompagné dans les phases majeures de ce processus de transition :

  • établir un bilan ou comment tracer son itinéraire, repérer ses acquis, se réapproprier «  son œuvre »

  • accepter une phase d’exploration d’un autre chemin pour envisager une autre œuvre à créer au sein ou hors de l’organisation

  • initier une mise en mouvement

L’entreprise ou l‘organisation est la première oreille de ces envies à conditions qu’elle la tende, qu’un dialogue social soit institué, incarné. Les outils, les temps dédiés existent : bilans annuels, bilan de mi-carrière, etc… mais ces outils ne sont appliqués que pour répondre à une injonction, à une obligation. Pas le temps, pas de moyens, pas de suivi,  il faut rationnaliser, évaluer, comparer, et ces temps d’échange deviennent un poids pour l’ensemble des protagonistes. Cependant, un contrat gagnant-gagnant n’est –il pas envisageable pour que chacun, dirigeants et salariés,  tourne une page individuelle et collective sans heurt, sans brutalité en tentant même de générer des gains pour chacun ? L’entreprise recherche une performance avec un personnel adapté, motivé, engagé et le salarié souhaite être intégrer à un projet, contribuer à une réussite, avoir une fierté de l’œuvre accomplie.  Lorsque cette performance n’est plus, pourquoi ne pas regarder sereinement les raisons de ce changement et amorcer un processus de transition avec ce salarié mature en quête d’un autre projet, d’une autre œuvre ?

Me direz-vous, si la volonté du senior est d’emprunter un chemin hors  de l’organisation qui l’emploie, est–ce à l’entreprise d’endosser seule la responsabilité de ce type d’accompagnement ? Un continuum d’accompagnement ne pourrait-il pas être imaginé entre une émergence de projet décelé en entreprise, une confortation accompagnée par une structure sociale pour une mise en œuvre efficiente ? Ce sas de transition entre la structure employeuse, le projet individuel de fin de parcours professionnel ne contribuerait-il pas à considérer un engagement dans la vie de façon plus positive, plus réjouissante que le seul projet de tenir dans la dureté du travail et ne rêver qu’à un départ à la retraite ?

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